Optimisation des séries pour améliore la force maximale

Après les 3x8, voici les 3x6 !

Depuis la publication du travail de Berger (1962), le nombre de séries et de répétitions que l'on préconise habituellement pour chaque exercice au cours d'une séance de travail de la force maximale et d'hypertrophie a été fixé à [3 x 6]. Ce résultat est considéré par de nombreux auteurs de manuel de physiologie du sport (Fox and coll., 1993 ; Wilmore et Costill, 1994 ; McArdle et coll., 1996) comme une recommandation importante, vu la "supériorité" de la série multiple sur la série unique.

Pour autant, certains auteurs se sont posés la question de l'intensité minimale nécessaire et suffisante pour initier les modifications attendues (amélioration de la force et augmentation de la masse) au niveau musculaire. Ils ont alors émis l'hypothèse selon laquelle une série unique d'un exercice pourrait avoir la même efficacité qu'une série multiple (Liederman, 1925 ; Riley, 1977 ; Darden, 1978 ; Jones, 1978) s'il s'avérait qu'elle était réalisée effectivement cette intensité optimale

Or, il ressort d'une analyse détaillée de la littérature actuelle que rien ne permet d'affirmer que la série multiple est supérieure à la série unique. C'est ce que résume une article récemment publié à propos de l'étude pilote de Berger (Carpinelli et Otto, 1998) qui, depuis, a soulevé des controverses dans le milieu de l'entraînement sportif et de la recherche sur le nombre de séries requises dans un entraînement visant à augmenter la force.
Les tableaux 1 et 2 ont permis de comparer les groupes ayant participé à l'expérience, et de noter que :

   Tableau 1 : Comparaison de l'augmentation de la force
   en fonction du protocole utilisé (Berger, 1962)

séries x réps
augmentation moyenne de 1–RM
%
kg
I x 2
20.0
11.3
II x 2
17.3
9.3
III x 2
23.5
13.3
I x 6
25.5
14.5
II x 6
22.9
12.9
III x 6
29.6
16.7
I x 10
21.6
12.2
II x 10
25.1
14.2
III x 10
23.0
13.0
Note : les chiffres romains correspondent au nombre de série et les chiffres arabes au nombre de répétitions.

Tableau 2 : Comparaison les groupes ayant réalisé un nombre similaire de répétitions
(2, 6 ou 10) après 12 semaines (Berger, 1962)

Groupes
Effet
III-2 vs II-2
S
III-2 vs I-2
NS
II-2 vs I-2
NS
III-6 vs II-6
S
III-6 vs I-6
NS
II-6 vs I-6
NS
III-10 vs II-10
NS
III-10 vs I-10
NS
II-10 vs I-10
NS
S = différence significative,
NS = différence non significative

Même en essayant de reproduire ses propres résultats à partir des protocoles [VI x 2], [III x 6] et [III x 10], Berger (1963) n'a pas pu montrer la supériorité de l'entraînement [3 x 6] sur les autres combinaisons (augmentation respective de 16,9%, 20,0% et 21,3%). Idem pour son étude de 1972, où les sujets réalisèrent 1, 2 ou 3 séries sans différences significatives entre elles au niveau de l'amélioration de la force maximale du sujet (augmentation respective de 19,8%, 15,4% et 21,7%) !
Malgré cela, ce chercheur a continué à recommander la [IIIx6] pour améliorer les qualités de force en citant pour cela la seule étude de 1962 (Berger, 1973, 1982, 1984). A la lecture de ces résultats, il est pourtant difficile d'argumenter de façon catégorique en faveur de ce que Berger a proposé comme étant le nombre de séries et de répétitions idéal sur lequel s'appuient bon nombre d'entraîneurs pour établir des planifications d'entraînement où le volume ne fait que croître sans se préoccuper des incidences que cela pourrait avoir
à terme sur la santé de l'athlète !
En 2001, 5 études seulement démontraient la supériorité de la série multiple sur la série unique, contre 56 qui montraient qu'il y avait équivalence en termes de bénéfices (Carpinelli, 2001). Malheureusement, les vieilles habitudes ont la vie dure et beaucoup de chercheurs et d'entraîneurs continuent de suivre les recommandations issues de Berger et de l'American College of Sports Medicine (ACSM, 2002) sans se préoccuper de la véracité de ce qu'ils avancent, ni de l'efficacité de cette seule méthode d'entraînement de la force. Il s'ensuit que cette idée est toujours prépondérante dans le milieu sportif.

Carpinelli (2002) a par ailleurs montré, en croisant les citations des publications qui prônent la supériorité de la série multiple, que la seule référence qui revenait  pour appuyer les résultats publiés en faveur de la série multiple était systématiquement celle de Berger (1962) !? Cela montre bien que notre modèle actuel de programmation de l'entraînement en force vient de cette seule et unique publication (figure ci-dessous) !

Figure 1: Références croisées des physiologistes qui recommandent
l'utilisation de la série multiple (D'après Carpinelli, 2002)

Que dire alors de la différence qui existent entre les deux méthodes d'entraînement au niveau de leur efficacité (3% seulement de différence au niveau du gain de force maximale) et du temps consacré ou de l'énergie dépensée dans chacune de ces méthodes (si l'on compare IIIx10 et Ix10, la différence de temps d'entraînement est de 300% !).
Même avec un nombre plus important de séries (> à 3), les résultats restent similaires : aucune étude des 6 réalisées à ce jour n'a montré de différence significative dans le gain de force en augmentant le nombre de séries comparé à la série unique.

La bonne dose...

Pas de différence entre 1 et 2 ou 1 et 3 séries (ou plus)
Carpinelli et Otto (1998) ont compilé dans des tableaux les expériences qui ont comparé série simple et série multiple et qui ont été publiées jusqu'en 1998.
Ils montrent que 0 études sur 13 n'ont pu attester de la supériorité de 2 séries sur 1 série. Cette absence de différence est même notée au niveau du pourcentage de masse sans graisse normalement représentatif du gain de masse musculaire.
Concernant les comparaisons entre 1 série et 3 séries, seule 1 étude (Kramer et coll. 1997) sur 16 a montré que l'augmentation de force était significativement plus élevée avec trois séries plutôt qu'une seule.

Effet significatif même après six mois d'entraînement
Pour répondre à la principale critique concernant ces comparaisons, à savoir la durée d'entraînement trop courte (1,5 à 3 mois), deux études ont été réalisées sur une durée de 6 mois (De Hoyos et coll., 1998 ; Pollock et coll., 1998) avec [1 x (8 x 12-RM)] et [3 x (8 x 12-RM)]. La 12-RM correspond à une charge généralement proche de 75% de la 1-RM (par exemple pour une 1-RM à 80 kg, la 12-RM équivaut à 58.4kg).
Toutes deux aboutissent aux mêmes conclusions : il y a une augmentation significative de la 1RM pour la série unique (1x) et les trois séries (3x), et une augmentation similaire de la masse musculaire. Les deux formes d'entraînement permettent donc d'améliorer la force et la masse musculaire dans les mêmes proportions après une durée d'entraînement de 6 mois.

Conclusion: l'opinion classiquement rapportée dans les ouvrages de physiologie et/ou citée dans les cours et les formations n'est pas supportée par les nombreux résultats scientifiques publiés à ce jour où une comparaison a réellement été faite entre 1 série par rapport à 2 série et plus (jusqu'à 15 séries !) : la série multiple n'est pas supérieure à la série unique pour un exercice donné ; ou, dit différemment, la série unique est aussi efficace que la série multiple. Cette affirmation est supportée par 56 publications contre 5 (Carpinelli, 2002).

...pas seulement pour les débutants !

En 1996, Starkey et coll., après avoir eux aussi mis en évidence que la série unique est aussi efficace que les séries multiples pour améliorer la force et le volume musculaire, concluent à la nécessité d'évaluer l'effet d'un tel entraînement sur la performance. Deux études vont plus loin dans la mise l'épreuve des recommandations généralement faites pour l'entraînement des sportifs (Pearson et Faigenbaum, 2000) ou les remarques de Fleck et Kraemer (1997) relatives au public participant aux expériences.
Ces derniers ont avancé que l'entraînement à série unique était plus approprié chez les personnes commençant un entraînement de force et que, une fois un certain niveau de forme atteint (ou bien chez un public constitué de sujets experts), les séries multiples étaient alors plus efficaces que la série unique.
Hass et coll. (2000) ont montré que l'augmentation de force musculaire, l'amélioration de l'endurance musculaire et la variation de composition corporelle (augmentation de masse musculaire) devenaient significatives après 13 semaines. Mais aucune différence significative entre les données de la série unique et celle de la série multiple n'a été trouvée : les effets de la série unique opèrent même chez des pratiquants de loisirs assidus,et ce,même dans le cas d'une longue expérience préalable (ici 6,2 ans en moyenne !). Les deux groupes ont montré les mêmes améliorations de leur composition corporelle. De plus,le temps requis pour réaliser la série unique (25 min) était réduit de plus de la moitié comparé à la série multiple (1 h).
Ostrowski et coll. (1997) notèrent des augmentations significatives de la circonférence des muscles étudiés, de l'aire de la section transverse, et de la masse corporelle dans les trois groupes ayant réalisé 1, 2 ou 4 séries d'un circuit d'exercices de force, sans pour autant trouver de différences significatives dans ces paramètres entre les groupes.
Avec l'étude publiée par Curto et Fisher (1999), ce sont 3 études qui montrent actuellement que la série unique serait aussi efficace que la série multiple chez les adultes ayant déjà une expérience en entraînement de force, en plus des personnes pratiquant cette activité en loisir. Reste à faire des expériences avec un public d'experts comme les bodybuilders et les haltérophiles pour savoir si cette série unique est vraiment le stimulus nécessaire et suffisant comme nous l'avons dit au début de cette page.
Dans une étude récente, Smilios et coll. (2003), démontrent sans ambiguïté que de faire 2 séries permet d'obtenir des effets au niveau force, hypertrophie et endurance en utilisant les protocoles classiquement recommandés comparativement à 4 ou 6 séries. Ils en concluent que réaliser 2 séries créer l'environnement nécessaire et suffisant pour stimuler les mécanismes physiologiques responsables de l'amélioration de ces qualités et avoir les effets désirés. Ils vont même jusqu'à proposer une raison à cette efficacité : en augmentant le nombre de séries, on augmente de façon concomitante le niveau de stress et de fatigue imposée à l'organisme. De fait, la récupération est plus longue et laisse dans un premier temps peu de place aux mécanismes de croissance pour s'exprimer. Tout se passe comme si la fatigue ralentissait l'expression de l'amélioration des qualités musculaires. A vouloir augmenter le nombre de séries on accroît la fatigue et on limite l'effet de synthèse lié à l'action
de certaines hormones.

Cela a des retombées non négligeables !

1°) Tout d'abord, il est possible d'augmenter la force musculaire sans pour autant avoir recours à un entraînement contraignant, tant au niveau du cumul de charge à soulever à l'issue de celui-ci et au niveau du temps qu'il faut lui consacrer dans la programmation. Au final, la diminution de la charge totale mobilisée dans l'entraînement liée à l'utilisation d'une série unique permet, tout en conservant les mêmes effets que les séries multiples, de limiter fortement par la même occasion les risques de traumatismes (ligamentaires, tendineux, musculaires, articulaires), de fatigue chronique (surentraînement)et de surcharge de l'appareil digestif lié à une trop forte absorption de nourriture pour compenser les pertes protidiques dues aux gros volumes des séries multiples.La série unique correspondrait donc au volume OPTIMAL pour obtenir la réponse désirée.

2°) Les bénéfices que l'on retire d'un entraînement de force restent quasiment inchangés (à 3-5% près en moyenne) avec la programmation d'une série unique : augmentation de la densité osseuse, de la force du tissu conjonctif (ligaments et tendons), de la capacité fonctionnelle, de la performance sportive, amélioration du rendement musculaire, diminution de la masse graisseuse et augmentation de la masse musculaire.

3°) On peut utiliser cette programmation même avec des sujets s'exerçant depuis longtemps dans ce genre d'entraînement, peut-être même avec des professionnels (bodybuilders ou haltérophiles)... Mais cela reste à vérifier pour ces derniers.

Compte tenu du peu de différence qui existe entre la série unique et la série multiple (moins de 5% de gain), la série unique (8-12 réps à 75% de 1RM) est :

(*) une alternative efficace à l'entraînement utilisant des hauts volumes d'entraînement ;

(**) une méthode TOUT AUSSI EFFICACE que la série multiple pour développer la force, améliorer l'endurance musculaire et augmenter la masse musculaire, seule pourrait changer la constante de temps à plus long terme. Mais, si on n'est pas pressé, cela ne présente pas une limite majeure à l'utilisation de la série unique ;

(***) une méthode permettant d'alléger considérablement le temps d'entraînement et les besoins nutritionnels du sportif (si un sportif met 3 heures à compléter une séance basée sur la série IIIx10, il ne passera qu'une seule heure à réaliser celle de Ix10, ce qui correspond à un gain de 300% de temps d'entraînement !!). Par voie de conséquence, il y a aura une diminution des risques de blessures, de traumatismes ou de sur-entraînement.

Et pour la fréquence d'entraînement : c'est la même chose !

Maintenant, reste à savoir combien de fois il faut répéter cette série dans la semaine. En d'autres termes, qu'elle doit être la fréquence d'entraînement ?
Il est généralement conseillé de se reposer 48 h avant de faire une autre séance. Ce temps est nécessaire pour que les adaptations puissent se mettre en place au niveau moléculaire et tissulaire (Fleck et Kraemer, 1997). Ce qui correspond à une fréquence de 3 jours d'entraînement dans la semaine pour un groupe musculaire donné.
Il semble même qu'il soit possible de descendre à 2 jours d'entraînement par semaine : cette dose hebdomadaire (OPTIMALE) permet déjà d'atteindre 80 à 90% des bénéfices escomptés d'un programme d'entraînement en force chez une personne initialement non entraînée lorsque les gains sont comparés à ceux obtenus avec 3 séances (Demichele et coll., 1997). Une fois atteint le niveau visé, il pourrait suffire d'une séance par semaine pour maintenir les bénéfices obtenus par l'entraînement en force (Moorehouse, 1966 ; Graves et coll., 1990).

CONCLUSION GENERALE

Au vu de ces résultats, il est clair que les entraîneurs devraient aborder avec un regard beaucoup plus critique les protocoles d'entraînement qui prévalent dans le milieu sportif plutôt que se fonder sur un statu quo ou sur la simple répétition de ce que nos prédécesseurs... faisaient sans remettre aucunement en cause leurs autres qualités.  Les programmes d'entraînement devraient être élaborés à partir de faits scientifiques avérés relatifs à l'entraînement de la force plutôt que sur l'opinion ou les idées des entraîneurs et/ou athlètes même bien intentionnés qu'ils s'échangent par le bouche-à-oreilles. Loin de nous la remise en question de la valeur des expériences menées sur le terrain de façon empirique, par essai et erreur, puisque c'est cela même qui nous a guidé jusqu'à présent.
Une pléthore d'idées reçues circulent dans le milieu sportif, y compris dans les magazines soi-disant spécialisés dans ce domaine d'intervention (généralement des revues non scientifiques et sans comité de lecture pour vérifier et contrôler la validité des articles...) quoi que certains corporatismes scientifiques jouent aussi de la censure pour continuer à diffuser uniquement leur point de vue comme en témoigne un article récent de Robergs (2003) disponible dans la revue Journal of Exercise Physiology online. Les études publiées dans les revues à comité de lecture (dont l'objectivité n'est normalement pas à remettre en cause) montrent tout le contraire. Il s'avère même que certaines pratiques communément admises dans l'entraînement n'ont aucun fondement physiologique (voire à ce propos la rubrique concernant les étirements et leurs effets et les courbatures). L'analyse critique de Carpinelli et al. (2004) concernant les recommandations en termes de programmation d'entraînement en force, puissance et endurance musculaire de l'ACSM donne un exemple de ce que peut être la résistance au changement.

Pour autant qu'elles soient acceptées, les recommandations générales concernant l'entraînement se doivent, en premier lieu, de respecter l'intégrité physique du sportif.
Pour autant 
qu'elles prouvent leur efficacité, les méthodes permettant de diminuer la charge de travail doivent être privilégiées. La compréhension des mécanismes en jeu ne peut se faire qu'à travers la définition de la meilleure dose (stimulus nécessaire et suffisant) en fonction de l'effet recherché. Il convient alors de préconiser la dose minimale correspondant à la réponse recherchée... puisqu'à l'heure actuelle aucune étude n'a prouvé qu'il fallait en passer par de très gros volume d'entraînement pour obtenir des résultats quelle que soit la qualité physique que l'on souhaite développer !
Cette habitude est en fait liée aux idées a priori que l'on se fait sur ce que doit être l'entraînement avant même d'en avoir vérifier l'exactitude. Si l'augmentation du nombre de série d'un exercice donné n'apporte rien de plus significatif au niveau des gains alors il est inutile de le préconiser aux sportifs. C'est pourquoi, aujourd'hui, la philosophie de la série multiple est pour le moins difficile à soutenir.


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